Retour aux articles

Loi PACTE : focus sur le dispositif censé faciliter l’accès à un compte bancaire aux entrepreneurs blockchain

Tech&droit - Blockchain
Affaires - Banque et finance
23/05/2019
L’accès effectif aux comptes bancaires a été au centre de vives passes d’armes lors des débats parlementaires sur la loi PACTE. Avec, au final, un dispositif auxquels les acteurs ne croient pas. Explications.
Rappelons que l’article L. 312-23 prévoyait avant la loi PACTE que « Les règles régissant l'accès des établissements de paiement et des établissements de monnaie électronique aux services de comptes de paiement tenus par des établissements de crédit au nom des autres prestataires de services de paiement doivent être objectives, non discriminatoires et proportionnées. Cet accès est suffisamment étendu pour permettre aux établissements de paiement et aux établissements de monnaie électronique de fournir des services de paiement de manière efficace et sans entraves. L'établissement de crédit communique à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution les raisons de tout refus ».

Un constat unanime : la quasi-impossibilité d’ouvrir un compte bancaire en France pour un entrepreneur de l’écosystème blockchain
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à l’heure actuelle le simple fait de mentionner le mot « crypto » ou « blockchain » dans les statuts d’une société ferme presque d’office l’accès à un compte bancaire. Plusieurs grands acteurs sur le marché crypto n’ont ainsi jamais pu ouvrir un compte en France.

Côté établissement bancaire, on oppose la rigueur des règles de compliance pour justifier les refus répétitifs.
 
Extraits du rapport de l’Assemblée nationale relatif aux monnaies virtuelles
– « Si la crainte de s’exposer à des sanctions, notamment des autorités américaines dont la loi est extraterritoriale, et la volonté de ne pas exposer le bilan des établissements de crédit à certains crypto-actifs peuvent sembler légitimes, il apparaît que cette réserve va souvent bien au-delà » ;
– « plusieurs cas de refus non motivés et sans transmission d’une attestation ont été rapportés, bien qu’il s’agisse d’une obligation pour les institutions bancaires, conformément à la section III de l’article L. 312-1 du Code monétaire et financier. L’usager se trouve alors privé de faire valoir son droit au compte auprès de la Banque de France sur présentation de ce justificatif ; démarche qui permet d’aboutir à la désignation d’un établissement de crédit en capacité de lui offrir des services de dépôt et de paiement ».
Assemblée nationale, Rapp. d'information, n° 1624, 30 janv. 2019
 

Les « crypto-députés » (notamment Laure de La Raudière, Pierre Person, Christine Hennion, Jean-Michel Mis, Eric Bothorel ou encore Valeria Faure-Muntian) avaient déposé plusieurs amendements afin de « garantir l’effectivité du droit au compte pour nos entrepreneurs  (qui) est fondamental afin de développer un écosystème français favorable aux crypto-actifs. Sans financements ni acteurs implantés en France, pas de projets ni d’écosystème » (v. Pierre Person, député : « Il est encore difficile d’estimer l’ampleur que pourrait prendre la "token economy", mais il s’agit sans nul doute d’une révolution », Actualités du droit, 4 févr. 2019).

Laure de La Raudière avait également indiqué lors du vote du projet de loi PACTE en première lecture à l’Assemblée nationale, être « très inquiète : si une banque publique n’a pas l’audace de pouvoir ouvrir un compte pour des entreprises labellisées (…), cela m’inquiète beaucoup pour les autres banques, les banques internationales privées. On est en train de mentir aux entrepreneurs de la blockchain. On ne va pas jusqu’au bout », avait-elle insisté à plusieurs reprises, évoquant même le « simili droit au compte de l’article26 ». 

Concrètement, la députée proposait :

Pour Pierre Person, « il s’agit avant tout d’un problème de communication. Pour l’instant, personne ne sait réellement comment traiter la question et chacun agit en présomption de ce qu’il pense être attendu de lui ». Le rapport sur les cryptomonnaies rendu publique en début d’année (Assemblée nationale, Rapp. d'information, n° 1624, 30 janv. 2019) préconisait que des solutions de recours soient proposées aux entrepreneurs en cas de refus par un établissement bancaire et que les acteurs institutionnels et privés conviennent de règles partagées en termes de conformité, afin d’aboutir à un document de référence.

Mais de son côté, Eric Woerth soulignait, dans ce même rapport, qu’il « ne semble pas (…) nécessaire, comme le suggère le rapport, de garantir un droit au compte à tout entrepreneur en crypto-actifs, y compris à ceux qui n’ont pas reçu de visa de l’AMF, et encore moins à demander à des institutions financières publiques, type Caisse des dépôts et consignations, de garantir l’ouverture de comptes à ces entrepreneurs, ce qui transférerait le risque financier qu’ils courent vers la collectivité nationale » (Assemblée nationale, Rapp. d'information, n° 1624, 30 janv. 2019.

Ce que prévoit finalement la loi PACTE en matière d’accès au compte
Pour tenter de pallier ces difficultés, l’équilibre posé à l'article 85 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 (JO 23 mai) est le suivant :

  • il insère un alinéa à l’article L. 312-23 du Code monétaire et financier : « Les établissements de crédit mettent en place des règles objectives, non discriminatoires et proportionnées pour régir l’accès des émetteurs de jetons ayant obtenu le visa mentionné à l’article L. 552-4, des prestataires enregistrés conformément à l’article L. 54-10-3 et des prestataires ayant obtenu l’agrément mentionné à l’article L. 54-10-5 aux services de comptes de dépôt et de paiement qu’ils tiennent. Cet accès est suffisamment étendu pour permettre à ces personnes de recourir à ces services de manière efficace et sans entraves. Les conditions d’application du présent article sont précisées par décret. Celui-ci précise notamment les voies et délais de recours en cas de refus des établissements d crédit » ;

  • et modifie son second alinéa : « L’établissement de crédit communique les raisons de tout refus à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution pour les acteurs mentionnés au premier alinéa du présent article et à l’Autorité des marchés financiers et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution pour les acteurs mentionnés au deuxième alinéa ».

Pour autant, la nouvelle version de l’article L. 312-23 du Code monétaire et financier et le décret d’application seront-ils suffisants pour débloquer la situation ?

Le doute est permis. Précisons, cependant, que « les autorités de régulation devraient (...) émettre des consignes à l’attention des établissements de crédit afin de guider les équipes dans le traitement des dossiers d’entreprise blockchain »  (v. Pierre Person, député : « Il est encore difficile d’estimer l’ampleur que pourrait prendre la "token economy", mais il s’agit sans nul doute d’une révolution », Actualités du droit, 4 févr. 2019).

Un premier indicateur de l’efficacité de ce dispositif sera révélé lors de la remise du premier rapport annuel du comité d’évaluation des politiques en faveur de la croissance et de la transformation des entreprises, prévu par l’article 221 de la loi PACTE  (v. Loi PACTE : une loi sous surveillance, Actualités du droit, 23 mai 2019). La mission de ce comité : remettre au Parlement, avant le dépôt du projet de loi de finances, un rapport sur les effets concrets de cette loi. Cet audit devra intégrer un volet spécifiquement consacré à « l’impact du visa optionnel des émissions de jetons sur le nombre d’émissions effectuées en France et la capacité des émetteurs d’ouvrir des comptes bancaires sur le territoire national ».

Premier bilan, donc, dans quelques mois…

Source : Actualités du droit